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L’histoire des énergies dans le pays de Vaud

L’histoire des énergies dans le pays de Vaud 10.06.2024 Anne-Lise Veya, Archives cantonales vaudoises   En bref Les archives cantonales vaudoises montrent que l’histoire de la politique énergétique est marquée par des tensions entre acteurs concurrents, particulièrement accentuées en période de guerre et de pénurie. Elles révèlent également que l’évolution des énergies a souvent été impulsée par des initiatives privées et entrepreneuriales, avec des archives détaillant les contributions significatives d’individus et d’entreprises dans ce domaine. Enfin, ces archives mettent en lumière les vifs débats idéologiques entourant l’exploitation des ressources énergétiques, reflétant des visions opposées sur le rapport de l’homme à son environnement et à l’énergie. À cet égard, l’entrée des archives de l’ADER aux ACV témoigne de la capacité du tissu associatif à transformer un problème public en un problème politique auquel l’État répond, in fine, par une politique publique.  Esquisse de la typologie des sources à disposition aux ACV pour une histoire des énergies Généralités Le fonds remis aujourd’hui par l’ADER s’inscrit dans un paysage documentaire déjà riche. En effet, les sources relatives à l’histoire de la politique énergétique et à l’histoire de l’exploitation économique des ressources sont nombreuses aux Archives cantonales vaudoises (ACV). Rien d’étonnant à cela, tant le développement de nos sociétés est lié à l’exploitation des ressources énergétiques. Cet état de dépendance est bien sûr allé en s’accroissant mais les ressources naturelles ont toujours été doublées d’enjeux de pouvoir et d’argent. Le numéro 124 de la « Revue historique vaudoise » retrace d’ailleurs parfaitement l’ancienneté des enjeux économiques et politiques de l’énergie et rappelle que nos sociétés se sont organisées autour du développement et de l’accès aux ressources, et cela bien avant la Révolution industrielle. Conflits d’énergies Lorsque l’on prend connaissance des nombreuses sources conservées aux ACV, il apparaît rapidement que l’histoire du développement et de l’exploitation des énergies est une histoire parcourue par les tensions entre acteurs concurrents cherchant à établir une main mise et craignant les pénuries. Sans surprise, on observe rapidement que les périodes de guerre attisent les tensions au sujet des ressources énergétiques. C’est ce dont témoigne, par exemple, le fonds Office cantonal de l’économie de guerre (K XII j) auquel il échoit notamment de trancher quant à l’attribution de combustibles (mazout, charbon, bois, tourbe) en temps de guerre. On constate également dans les archives les effets inévitables du report de la demande nés de cette situation de pénurie. En effet, le manque des combustibles étrangers qui ne parviennent plus en Suisse pendant la Seconde guerre mondiale réoriente le marché et marque, notamment, le retour de l’industrie de la tourbe. A titre d’illustrations, on mentionnera ce soir une série de photographies et une lettre témoignant du travail des internés de guerre à l’extraction de ce combustible, dit du pauvre (P 1000/454 et 453). Précisons qu’il s’agit là de pièces isolées, c’est-à-dire de pièces ne relevant pas d’un fonds, pièces isolées dont les ACV possèdent une jolie collection (P 1000). Bien sûr, la concurrence pour l’accès aux ressources énergétiques ne se déroule pas qu’entre nations. Dans une série de documents du 19e siècle, tirés du fonds du Département de l’agriculture, de l’industrie et du commerce (K XII), on observe ainsi les prétentions des uns et des autres sur les ressources forestières vaudoises. Dans le lot, on voit par exemple la commune de Penthéréaz tenter de prouver qu’elle ne doit rien à l’Etat pour les droits qu’elle exerce sur la rivière du Buron. On la découvre également protester contre la mise à ban projetée par l’Etat, pour laisser à la forêt le temps de se reconstituer (K XII b 1). Querelle énergétique intercantonale cette fois ; celle qui oppose entre 1944 et 1958 les gouvernements vaudois et fribourgeois au sujet du détournement et du turbinage de l’Hongrin, rivière née sur sol vaudois mais alimentant la Sarine. Dans un dossier, extrait du fonds du Service des eaux et de la protection de l’environnement (S 8), on lit les tractations menées pour aboutir à une solution qui satisfasse les différentes forces en présence. Comme le relève Jean Steinauer, qui s’est, entre autres, intéressé à ce conflit[1], le seul point qui fasse finalement consensus entre les partis c’est la négligence des impacts environnementaux de ce pourtant colossal projet hydraulique. Pour finir, j’aimerais mentionner les informations offertes par les cartes, nombreuses aux ACV. La question des énergies est en effet, par nature, éminemment territoriale. Plans de mines ou encore de forêts, les cartes définissent les limites des prétentions de chacun et quantifient ou identifient les ressources à disposition. A des fins d’illustration, on peut mentionner par exemple le plan d’une mine d’houille (GC 150/A) exploitée par Jean-Daniel Rittener à Rivaz entre 1810 et 1816 seulement. L’exemple de cette aventure économique qui tourne, comme le dit Michel Maignan[2]., rapidement court m’amène à un deuxième constat. Force d’initiative du privé Ce deuxième constat est le suivant : les sources conservées aux ACV indiquent que l’histoire des énergies est une histoire particulièrement mue par des visions ou des initiatives entrepreneuriales. On relèvera ainsi l’apport informatif évident des fonds d’archives privés. On peut penser par exemple aux archives de l’inévitable et hyperactif Adrien Palaz (PP 1042) ou encore à celles du pionnier et militant François Iselin (PP 1230) dont les archives sont entrées ce mois aux ACV et attendent désormais d’être traitées. Dans la même veine, on rappellera également la colossale présence, aux ACV, des archives des acteurs du marché de l’électricité avec le fonds de la Compagnie vaudoise d’électricité (PP 701) et celui de la Société romande d’électricité, fonds qui représente, à lui tout seul, quelque 350 mètres linéaires de documents (PP 658).  Ces noms cités parmi tant d’autres illustrent bien le rôle prépondérant joué par les individus et les organismes dans l’émergence d’une politique énergétique. Les archives du registre du commerce (par exemple SC 193/19/7/15 ou encore SC 193/14/1/13 et SC 184/2/3/120) témoignent également, à leur manière, de cette vitalité entrepreneuriale souvent incomplètement documentée. On trouve en effet dans les archives du registre du commerce, les inscriptions et actes constitutifs de diverses petites entreprises

Remorques photovoltaïques d’alpage

Remorques photovoltaïques d’alpage 07.03.2024  Manon Saudan Amener l’électricité aux chalets d’alpage isolés Le groupe de travail « Chalets d’alpage » de l’ADER, constitué en 1989, avait pour but de trouver une solution à un approvisionnement électrique renouvelable durant la saison estivale des alpages non raccordés au réseau. En plus de l’éclairage, il s’agissait surtout d’assurer l’alimentation de la machine à traire, gourmande en énergie. Pour subvenir à leurs besoins, les exploitants recourent habituellement aux génératrices à essence, polluantes et bruyantes. Quant au raccordement au réseau électrique, il est coûteux et porte atteinte au paysage. Tests de trois prototypes L’alternative proposée par l’ADER consistait en une installation photovoltaïque montée sur remorque, qui présentait l’avantage de pouvoir suivre le troupeau lorsque plusieurs lieux d’estivage étaient utilisés ou d’être mise à l’abri en hiver. Deux premiers prototypes étaient opérationnels dès 1990. Fin 1992, un troisième modèle a été construit, qui intégrait comme nouveauté, entre autres, des panneaux orientables en fonction de la course du soleil et rabattables en cas de vents tempétueux. Les remorques étaient toutes équipées de batteries afin de stocker l’énergie pour la nuit ou les jours de mauvais temps. Des alpages vaudois… L’ADER a testé ses installations sur différents alpages : à Château d’Œx la première année, au Marchairuz dès 1991, puis au Solliat (Vallée de Joux) à partir de 1993. Dès 1991, un prototype alimentait également la buvette d’altitude du Mont-Tendre. Chaque saison d’alpage s’est accompagnée d’améliorations et de mesures. Ainsi, au Marchairuz, plus de 95% des besoins en électricité ont pu être couverts par le solaire, la génératrice d’appoint n’étant enclenchée qu’une dizaine de fois par saison, notamment en cas de mauvais temps prolongé. Sur le plan économique, l’ADER a pu démontrer que la remorque solaire était moins chère qu’un raccordement au réseau, dès le moment que la ligne à installer dépassait 1 kilomètre. … au Sahara Dans les années 2000, ce projet a connu un nouveau développement sous l’égide de l’ADER/S (Association pour le développement des énergies renouvelables/Sahara solaire solidaire). Des remorques photovoltaïques ont été envoyées dans des camps de réfugiés sahraouis du sud-ouest de l’Algérie pour y fournir de l’énergie. Des cours de formation y ont également été donnés, ainsi que des ateliers de construction qui ont permis la réalisation de plus de 25 installations solaires.

Moulin F10

Moulin F10 28.02.2024  Manon Saudan L’origine L’ADER, sous la direction d’Ernest Badertscher, l’un de ses membres de la première heure, a mis au point un moulin à céréales novateur consommant 10 fois moins d’énergie qu’un moulin traditionnel (d’où son nom, F10 se référant à facteur 10). C’est dans le cadre de son activité professionnelle en recherche et développement chez Nestlé qu’Ernest Badertscher a l’idée d’un procédé de mouture simplifié. L’entreprise, qui ne s’occupe pas de mouture de ce type, ne poursuit pas cette piste et le projet est alors développé sous la bannière de l’ADER. Au moment de le breveter, en 1997, il apparaît qu’un brevet pour un système semblable avait déjà été déposé en… 1894, sans être appliqué ! Celui-ci est donc réactualisé et les essais se poursuivent. Le prototype est réalisé en collaboration avec la firme Anutec, à Guin. Procédé de mouture simplifié La particularité de l’installation est d’avoir recours à un moulin multibroche, qui n’écrase pas le grain, mais le fait éclater par une série de chocs successifs contre les rangées de dents qui le composent. Habituellement, ces moulins sont employés dans l’industrie pour obtenir des poudres très fines comme du sucre glace ou des produits pharmaceutiques. Pour éviter que l’enveloppe du grain, le son, ne soit moulue finement, ce qui donnerait une farine « piquée », le grain est préalablement humidifié – et c’est là toute l’astuce. Cela a pour effet de ramollir le son et de le rendre élastique. Il ressort alors du moulin en grands flocons mous et un seul tamisage permet de le séparer de la farine. En comparaison, les moulins classiques à cylindres nécessitent de 6 à 18 passages de mouture, chacun suivi d’un tamisage et d’un transport de la matière première par système pneumatique ou autre. Vers une production décentralisée ? Exposé à plusieurs reprises au Salon international des inventions de Genève, le Moulin F10 n’attend plus qu’une diffusion à large échelle. En plus de produire une farine d’excellente qualité et de consommer peu d’énergie, la machine, en raison de sa simplicité, représente également un investissement environ 20 fois moins important qu’un moulin classique. Elle constitue de ce fait un système particulièrement bien adapté à de petites structures, comme une coopérative d’agriculteurs souhaitant transformer leur propre production. À noter qu’une variante simplifiée du moulin a également été réalisée à destination des pays émergents.

Mini-hydraulique: laboratoire MHYLAB

Mini-hydraulique : laboratoire MHYLAB 07.03.2024  Manon Saudan Revalorisation de la petite hydraulique Dès ses débuts en 1980, l’ADER a créé un groupe de travail « Mini-hydraulique » dans l’idée d’une remise en valeur des petites centrales hydroélectriques. Celles-ci avaient connu un fort déclin en Suisse : des quelque 7’000 installations que comptait le pays au début du 20e siècle, moins de 15% étaient alors encore en fonction. Pourtant, les nouvelles centrales ou les réhabilitations représentaient – et représentent toujours – un potentiel de production non négligeable et décentralisé. Premiers essais au Moulin de Bavois Dans le but d’apporter une contribution concrète, l’ADER a alors chargé son groupe de travail d’assainir la petite centrale du Moulin de Bavois. Non raccordée au réseau, cette installation avait longtemps été laissée à l’abandon, jusqu’à ce que son nouveau propriétaire décide de sa remise en service en 1979. Or, celle-ci a été marquée par une série d’incidents majeurs sur les trois turbines installées successivement, que leurs constructeurs respectifs ne parvenaient pas à résoudre. Le groupe de l’ADER, associé à un bureau d’ingénieurs, est arrivé au terme de travaux qui se sont étendus sur près de deux ans, de 1989 à 1990, à remettre l’installation en fonction. Création d’un laboratoire à Montcherand La complexité de cette remise en service a mis en évidence la nécessité de créer un centre de recherche expérimentale qui puisse apporter un soutien technique aux constructeurs de petites centrales. Ce laboratoire a trouvé place dans les locaux de la centrale hydroélectrique de Montcherand. La Fondation du Laboratoire de mini-hydraulique de Montcherand (MHyLab) a été créée le 9 décembre 1993. Son Conseil de fondation était composé de représentants de l’ADER, de la Compagnie vaudoise d’électricité (actuelle Romande Energie), de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), de l’École d’ingénieurs de l’État de Vaud (EINEV, actuelle HEIG-VD) et de la société de production de turbines Hydro Vevey (actuelle Andritz Hydro). Opérationnel depuis février 1997, MHyLab est aujourd’hui un centre de compétence incontournable dans le domaine de la petite hydraulique.

Prototype à pales auto-orientable

Prototype d’eolienne à pales auto-orientables 07.03.2024  Manon Saudan Hélice d’un nouveau type Lancé en 1985, le groupe de travail « Éolienne » de l’ADER avait pour objectif de construire et de tester le fonctionnement d’un prototype d’éolienne pourvu d’un nouveau système d’orientation des pales. L’hélice, reprise d’une idée initialement développée dans les années 1930 en URSS, présentait deux caractéristiques originales principales : L’utilisation d’ailerons d’orientation : les pales pivotaient librement autour de leur axe et s’orientaient d’elles-mêmes au moyen d’un aileron placé à leur extrémité, ce qui devait permettre au système de s’adapter à des vitesses de vent changeantes et d’augmenter le couple au démarrage. La réduction de la longueur profilée des pales : la première partie de la pale, proche du centre de rotation de l’hélice, était constituée d’un simple tube afin d’en diminuer la surface de prise au vent en cas de tempête. Tests au Chalet-à-Gobet et à Chavannes-sur-Moudon La construction du prototype s’est étendue sur un peu plus de deux ans, de fin 1986 au printemps 1989. Un tour de force quand on considère que le travail était effectué de manière entièrement bénévole par les trois membres du groupe durant leur temps libre. L’éolienne – dont l’hélice mesurait 6m de diamètre et reposait sur un mât de 10m de hauteur – a été héliportée à l’automne 1989 à Sainte-Catherine, au Chalet-à-Gobet, sur un emplacement mis à disposition par la Ville de Lausanne. Durant deux ans, le prototype a été testé et plusieurs améliorations y ont été apportées. Mais les vents se sont révélés trop instables : l’effet perturbateur des forêts environnantes avait été sous-estimé. Un nouvel emplacement a alors été trouvé à Chavannes-sur-Moudon. L’éolienne y a été installée en 1993 et les essais se sont poursuivis un certain temps, après quoi un site mieux venté encore a été identifié à la Dent de Vaulion. Mais les obstacles administratifs et le manque de moyens ont finalement eu raison de ce projet qui, malgré des résultats pourtant encourageants, a été mis en veilleuse.